Réfléxions de milieu de journée, ou le mystère de la trottinette pour adulte
Cher Carnet,
Ce matin, en allant au travail, j'ai remarqué plusieurs choses bizarres. Peut-être que la trentaine approchant, je deviens aigrie comme une tatie Danielle.
En sortant du métro, j'ai vu Damien, le nouveau des RH, enfourcher sa trottinette... Autant dire que j'ai ralenti au maximum pour ne pas avoir à lui dire bonjour.
Je ne comprends pas comment un adulte peut consciemment se dire "Tiens, je vais aller travailler sur une trottinette pour adulte". Surtout Damien, qui est assez beau garçon de son état.
Les rollers, les vélos, ça ne m'a jamais agacée, même les "rando-rollers", ça va, je suis tolérante - malgré le fait qu'elles aient toujours lieu quand je veux traverser un boulevard. Mais les trottinettes ?
C'est vraiment un truc de loser, même quand on a 5 ans, on le sait - j'en avais moi-même une rouge, mais c'était "un truc de petite" et je fus super fière de passer au BMX.
La trotinette est un tue l'amour : ça ne va pas vite, ça n'est pas dangereux, ça ne saute pas les trottoirs, et il faut la pousser à la main sur les passages piétons.
Pourtant, les gens en trottinettes ont toujours un petit air auto-suffisant de Cadres sup, un peu comme les élèves qui trouvaient ça cool les sac-à-dos-cartable en cinquième (mi cartable, mi sac-à-dos) alors qu'il faut avoir un sac à dos Creeks et c'est tout.
J'aimais bien Damien avant cette histoire de trottinette, je préfèrerais l'avoir croisé en skate à la limite.
Ensuite, j'ai croisé un mec du service recouvrement plutôt canon dans le hall. Je sais qu'il s'appelle Karim parce que j'ai cherché dans l'annuaire de la société... Mais il m'a dit "EloElo !"
Dans le milieu du travail où j'évolue (une banque austère que j'appellerais LB pour La Banque), les gens veulent garder un petit air décontracté, on ne dit pas "Bonjour" ou "Salut" mais "Elo", ou pire "EloElo". C'est une vraie maladie.
Les gens ne commencent jamais leurs email par "Chère Colette" mais par "Hello".Ce sont les commerciaux qui utilisent le plus ce mot en entrant dans mon bureau. En fait, c'est le genre d'interlocution que les gens utilisent quand ils me croisent au détour d'un couloir mais ne connaissent pas mon prénom, ou quand ils ont quelque chose à me demander.
Une scène typique : un commercial entre dans mon bureau et me dit "EloElo !!! Tu sais pas où est Machin ?" (c'est le nom de mon responsable anonyme) en transpirant. Scène insoutenable du monde moderne. Inutile de préciser que je déteste la non prononciation du "h"...
Ce matin, en voyant Karim le canon dire "Elo", je l'ai imaginé au réveil dire "EloElo" après une nuit d'amour. J'avoue que c'est la seule situation pour laquelle ça pourrait passer.
Ensuite, comme chaque matin, le mec de l'informatique m'a fait la même blague en me voyant avec mon croissant : "Mais fallait pas c'est trop gentil !"
Chaque matin, je souris poliment...
Un jour j'ai hésité à entamer un régime, car je suis gênée pour lui.Je ne comprends pas par quel mécanisme psychologique on peut refaire la même blague nulle chaque jour. Parfois il doit se retenir mais n'y arrive pas... C'est vrai que maintenant, quand il ne la fait pas, je sais qu'il va mal.
La journée n'est pas finie, j'espère que je ne vais pas en trouver d'autres - par exemple Adam, le beau gosse du service client qui utiliserait le mot "assertive" ou "implémenter".
La conclusion de tout ça, c'est que je deviens difficile... Il faut vraiment que je me remette sur les rails de la drague et que je sois plus tolérante. En fait, faut que je me trouve un mec, ça devient urgent.
Colette, qui a le blues du lundi.