L'antagonisme féminisme-courtoisie, ou "Toutes les femmes de ma vie, en moi réunies"
Cher Carnet,
Parfois, je suis tiraillée entre deux femmes.
L'une est une dame chic, qui sait qu'elle est une femme et qu'elle est un peu plus fragile que l'homme. Pour cela, elle sait que la différence est physiologique : sa fonction de base était d'enfanter. Elle aime la douceur, la délicatesse, ne supporte pas les gens qui se battent dans le métro, et elle apprécie la galanterie, sans savoir pourquoi, peut-être est-ce dans ses gènes finalement ?
Cette dame aime les bijoux et la douceur, elle estime que c'est normal que l'homme subvienne aux besoins de la femme, qu'il lui tienne la porte et lui ôte délicatement son manteau, parce que c'est ce qu'on lui a appris.
Elle aime rester à la maison boire du thé et faire le ménage toute la journée, pendant que son mari part travailler.
Elle ressemble à ma défunte grand-mère, qui passait son temps à bronzer dans sa villa du sud.
Elle s'appelle Nadine.
La deuxième femme a les cheveux longs, et elle porte des pantalons patte d'éph. Elle prône le sexe libre, elle est soulagée que la pilule contraceptive existe, permettant ainsi à la femme de ne pas être dépendante de l'homme. Elle a brûlé le corset, objet de son assujetissement depuis longtemps, elle a manifesté pour que les femmes puissent travailler et ne pas dépendre des hommes.
Aujourd'hui, elle continue à se battre pour l'égalité des salaires, pour le congé paternité et la parité, même si elle sent que ça n'existera vraiment jamais.
Elle prône l'indépendance de la femme et travaille autant qu'un homme sauf qu'elle gagne pas autant.
Elle ressemble à ma tante hippie qui a fait Mai 68.
Elle s'appelle Roberta.
Nadine se bat souvent avec Roberta dans ma tête.
Roberta engueule Nadine, cette oie blanche sans cervelle.
Nadine traite Roberta de camionneuse et lui dit que c'est pas comme ça qu'elle trouvera un mari.
Nadine aimerait moins travailler et avoir des enfants.
Roberta aimerait faire taire les hommes qui se la racontent au travail.
Nadine veut s'acheter des robes, Roberta lui conseille d'économiser plutôt pour s'acheter un ordi.
Nadine aimerait cuisiner plus souvent mais Roberta lui recommande d'aller au ciné le dimanche au lieu de faire des gâteaux.
Roberta pense que la femme est l'égal de l'homme.
Nadine sait bien que ce n'est pas vrai, elle déteste Isabelle Alonzo et elle apprécie qu'on lui tienne la porte.
Tout ça pour dire qu'à la fin du dîner de Saint-Valentin avec LeGrandBlond, lorsque l'addition est arrivée, mon côté Nadine n'a pas bougé le petit doigt. Après tout, c'était LeGrandBlond qui m'avait invitée, et il avait choisi l'endroit. Puis même "si on s'en fout de St Val", LeGrandBlond n'avait pas apporté une fleur, rien.
Mon côté Nadine avait tout de même espéré un petit geste...
Mon côté Roberta avait préparé un mini-cadeau pour l'égalité des sexes (un tire-bouchon design, c'est mon côté Nadine).
Point de cadeaux, même quand le Pakissauroses est passé, il l'a balayé d'un geste de main.
L'addition était bien posée sur la table, elle hurlait "Je suis lààààààà, merci de m'honorer", mais LeGrandBlond doit aussi avoir un côté Nadine, parce qu'il n'a pas bougé.
Une tension s'est installée autour de la table.
"Paie et pars fière ma Grande", m'a lancé Roberta -intérieurement.
J'allais passer à l'action quand LeGrandBlond a saisi l'addition... "Ouf", a soufflé mon côté Nadine.
"On fait moit-moit ?" a lancé le côté Grand Blond du GrandBlond.
Mon côté Nadine est resté bouche bée. Du coup, Roberta a pris le relais.
"Oui. Oui oui, pas de problème..."
Le GrandBlond m'a regardée avec un sourire en coin : "Tu le prends pas mal, hein ? Parce que je te sens froissée...Vous les femmes...Vous avez demandé l'égalité des sexes, faut assumer ! Ahahah !"
Mon côté Roberta a attrapé sans réfléchir le verre devant elle, et lui a balancé à la tronche.
Mon côté Nadine a eu les larmes au yeux et a quitté la table avec dignité.
Quant à moi, je suis restée stoïque et j'ai payé la moitié de l'addition, parce que je ne sais plus qui je suis.
En attendant, quand LeGrandBlond m'a proposé de partager avec lui un taxi, sans doute dans le but d'aller au même endroit que moi, j'ai répondu "Non, merci, j'ai mal au crâne" (excuse à la Nadine pour éviter l'accouplement hebdomadaire avec son mari), et j'ai remercié intérieureurement Roberta d'être assez indépendante pour pouvoir rentrer chez moi regarder la suite de The Wire en buvant une bonne tisane (boisson plébiscitée par mon côté Nadine).
Je sais, c'est dur avoir tant de femmes en soi, mais c'est bon d'avoir un homme foireux en moins chez soi.
Colette, Nadine et Roberta (un mix de Radio Courtoisie et des Chiennes de Garde).